Le langage est un système de signes qui permet de véhiculer un message, de communiquer, etc. Ainsi, cela ne se limite pas uniquement aux mots, mais renvoie aussi à son objet[1]. Le langage est alors une combinaison de paroles, de gestes et de regards vu que cela fait appel à plusieurs sens chez l’humain. Le Christ parle par exemple par autre chose que ses paroles : « […] C’est donc lui — le voir, c’est voir le Père (Jn 14, 9) — qui, par toute sa présence et par la manifestation qu’il fait de lui-même par ses paroles et ses œuvres, par ses signes et ses miracles, et plus particulièrement par sa mort et sa résurrection glorieuse d’entre les morts […]. (DV 4) » Mais, quel est de ce fait le langage de la Croix ?
Si l’on se fie à ce qui a été dit précédemment du langage, on peut alors avancer que la Croix fait appel à des paroles, à des gestes, au regard qui ne sont rien d’autre que les paroles, les gestes et le regard du Christ. Saint Paul nous dit que « le langage de la Croix est folie pour ceux qui vont à leur perte, mais pour ceux qui vont vers leur salut, pour nous, il est puissance de Dieu. » (1 Co 1, 18) Cela nous fait alors comprendre que le langage de la Croix n’est rien d’autre que l’expression de l’Amour de Dieu. C’est la forme la plus radicale de l’Amour du Créateur envers sa créature. Manifestement, toutes les paroles de Jésus durant sa vie publique, tous les gestes qu’il a posés, son regard sur l’humanité se concrétisent sur la Croix. Là, il transmet à l’humanité le message d’Amour de Dieu.
La notion de transmission est véritablement liée au langage qui englobe en même temps une tradition, une mémoire, une continuité et une communication[2]. Or, il existe un lien entre l’acte de transmission, de la communication et du langage. La Croix, dans le Christianisme, est l’expression même de l’acte de transmission de l’Amour divin à l’humanité ; l’acte par lequel le Créateur communique sa Passion pour sa créature ; l’acte par lequel l’Incréé exprime au créé combien il a du prix à ses yeux. Aussi, cette communication suppose un dialogue et une relation dans lesquels le langage employé est compréhensible par les interlocuteurs. Or, Dieu n’a pas trouvé d’autre dialogue plus compréhensible que celui du don de Lui-même, de sa propre vie, pour nous signifier son Amour. Voilà le sens de la vie chrétienne, le cœur de ce à quoi le temps carême nous a invité. Autrement dit, la proposition du carême par l’Église n’est rien d’autre qu’une invitation à apprendre à vivre le langage de la Croix, c’est-à-dire le radicalisme de l’Amour.
La Pâques chrétienne n’a pas de sens sans un passage obligé par la Croix. En ce sens, la résurrection demeure un mystère, une idée, une confusion avec diverses formes de croyances (réincarnation) si le langage de la Croix n’est pas compris comme étant l’expression de l’Amour de Dieu pour l’humanité. La résurrection peut alors devenir une réalité concrète dans nos vies si nous percevons dans des gestes simples du quotidien des passages : de la mort à la vie ; de la tristesse à la joie ; de la peur au courage ; de la méfiance à la confiance ; des pleurs aux cris de joie ; du rejet à l’accueil ; de l’égoïsme à l’altruisme… Voilà des formes de résurrection qui nous préparent et nous donnent un avant-goût de la Vie éternelle voulue et promise par Dieu.
Le langage de la Croix n’est pas celui du dolorisme, du masochisme ; ce n’est pas non plus une folie, une absurdité ; mais simplement l’expression de l’Amour. Ce langage nous invite donc à une relation à double sens : avec Dieu d’une part, avec nos semblables d’autre part. Le langage de la Croix est alors celui du dialogue, de la rencontre, de la relation ; c’est un langage qui passe par des paroles, des gestes, des regards d’Amour. En somme, le langage de la Croix est l’expression de la radicalité de l’Amour, c’est le Témoignage chrétien.
© Léandre Syrieix, séminariste.
[1] Hans Georg Gadamer, « Troisième partie – Tournant ontologique pris par l’herméneutique sous la conduite du langage » dans Vérité et méthode : les grandes lignes d’une herméneutique philosophique, Paris, Seuil, 1996, p. 430.
[2] H.G. Gadamer, « Troisième partie – Tournant ontologique pris par l’herméneutique sous la conduite du langage », p. 412.
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