Offrande et sacrifice : quel sens aujourd’hui ?

Gn 22, 1-2.9-13.15-18 – Ps 115 (116b) – Rm 8, 31b-34 – Mc 9, 2-45

Messe du 2e dimanche carême (B)

Photo : Daniel Abel

Le « sacrifice » est couramment employé dans la société civile pour désigner le dévouement, le zèle, l’abnégation… Pourtant, lorsqu’on parle de « sacrifice rituel » sur le plan religieux, cela renvoie à l’« offrande » et parfois semble répugner ou évoquer une pratique dite barbare. On a par exemple en tête une vision péjorative des sacrifices d’animaux, voire d’humains dans certaines religions dites primitives ou animistes. Or, dans le judaïsme, l’islam ou le christianisme, le sacrifice entendu comme offrande est « une action rituelle par laquelle l’humain offre un don à la divinité[1] ». Alors, qu’en est-il dans le christianisme aujourd’hui ? Comment les textes liturgiques de ce 2e dimanche de Carême nous invitent à actualiser le sacrifice du Christ ?

On retrouve dans la pensée de certains peuples anciens la conception du sacrifice comme étant l’acte de céder à la divinité un bien appartenant au donateur en vue de réaliser une communion entre lui et son Dieu. En ce sens, dans l’Ancien Testament, le sacrifice est comme « le pain de Dieu (Lv 3, 11.16 ; 21, 6.8.17 ; Nb 28, 2) »[2] L’humain effectuait alors des sacrifices dans plusieurs buts : réparation de certaines fautes (expiation et réconciliation), Action de grâces, etc. Ces sacrifices allaient jusqu’aux offrandes humaines et c’est dans ce contexte que se situe la première lecture. En effet, à travers le récit du « sacrifice d’Isaac » par Abraham, l’auteur de la Genèse condamne la pratique des sacrifices humains qui se faisaient chez les Cananéens et montre de ce fait que le sacrifice qui plait à Dieu ce n’est pas du sang humain [« Ne porte pas la main sur le garçon ! Ne lui fais aucun mal ! » (Gn 22, 12)], mais un esprit brisé et un cœur contrit (Ps 51, 18). Curieusement, nous poursuivons ces sacrifices humains aujourd’hui de manière sournoise à travers certains systèmes sociaux, économiques, politiques, etc. C’est par exemple le cas lorsque de nombreux enfants et adultes sont sacrifiés à travers l’esclavage moderne (prostitution, travaux forcés, trafics de drogue et d’organes) ; lorsque d’innocents sont sacrifiés dans des guerres idéologiques pour des raisons économiques (ressources naturelles, ventes d’armes), géopolitiques (Syrie, Congo, Soudan, etc.) ; lorsque de jeunes hommes et femmes sont sacrifiés au front dans des forces armées à travers des guerres qu’ils n’ont pas choisies… Tous ces frères et sœurs (nous y compris) sont sacrifiés sous silence aux dieux de l’argent, de la guerre, du pouvoir. Or, Dieu ne veut guère de tels sacrifices humains. D’un autre côté, l’Amour de Dieu envers l’humanité n’a pas de prix et à cause de cela, il est prêt à tout pour elle, jusqu’à accepter le sacrifice de son propre Fils pour tout le genre humain : « Il n’a pas épargné son propre Fils, mais il l’a livré pour nous tous. » (Rm 8, 32) Cette valeur de son Fils nous est signifiée dans l’Évangile de ce jour à travers la Transfiguration du Seigneur, c’est-à-dire « la révélation de la majesté divine de Jésus[3] » : « Ses vêtements devinrent resplendissants, d’une blancheur telle que personne sur terre ne peut obtenir une blancheur pareille. » (Mc 9, 2) Dieu nous révèle ainsi le Christ comme son « Fils bien-aimé » (Mc 9, 7). Et dans la foulée, Jésus annonce sa mort et résurrection, c’est-à-dire le don du Père à l’humanité de ce qu’il y a de plus inestimable. C’est ce même geste que notre Père dans la foi, Abraham a posé en voulant offrir à Dieu tout ce qu’il avait de plus cher à ses yeux à cause de son Amour pour Lui.

Le sacrifice du Christ n’est pas une reprise formelle de celui de l’Ancien Testament, mais un sacrifice d’expiation. En ce sens, il n’a pas totalement aboli le sacrifice puisqu’il nous demande de faire le mémorial de sa Passion à travers le caractère sacrificiel de l’Eucharistie qui nous donne une participation à sa vie. Voilà ce qui, aux yeux de la société civile dans le contexte de laïcité, peut paraître absurde. Manifestement, durant la période des persécutions, les chrétiens étaient condamnés sous prétexte qu’ils pratiquaient le cannibalisme, car ils affirmaient communier au corps et au sang du Christ. Aujourd’hui, les chrétiens sont qualifiés d’insensés parce qu’ils réalisent le sacrifice de la messe. Or, le caractère sacrificiel de l’Eucharistie suppose des offrandes : le pain et le vin, fruits du travail humain. Ainsi, comme chrétiens, nous sommes aussi appelés à faire le sacrifice de nos personnes, de nos propres vies.

Abraham est prêt à offrir à Dieu ce qu’il a de plus cher, son fils Isaac. Et nous ? Qu’avons-nous à offrir ? Nos superflus ? Cette période du carême est un temps favorable d’arrêt qui peut nous permettre d’évaluer toutes nos possessions afin de répertorier ce qui a plus de valeur et que nous oserions offrir à Dieu. Est-ce une personne qui nous est chère (ex. accueil de la vocation religieuse ou presbytérale d’un enfant dans le contexte actuel où nous les conditionnons à avoir de grandes carrières professionnelles) ? Est-ce un bien matériel (ex. un legs destiné à une œuvre ecclésiale ou un soutien pour une œuvre visant à soutenir les plus démunis, à encourager la solidarité avec les sans-abris, etc.) ? Est-ce un charisme en particulier (mis au service de la communauté) ou notre propre personne ? Dieu, ce Père plein d’Amour est prêt à tout pour tout nous donner (Rm 8, 34). Et nous ? Que sommes-nous prêts à lui donner ? Actualiser le sacrifice du Christ s’opère dans l’Eucharistie et se prolonge dans le quotidien de nos vies. En effet, le Christ résume toute la loi du sacrifice dans « le précepte de la Charité ». Ainsi, en participant au sacrifice du Christ dans l’Eucharistie, nous offrons ce qu’il y a de plus précieux à nos yeux ou en notre possession voire nos propres vies à Dieu. Voilà l’audace à laquelle nous sommes conviés.

© Léandre Syrieix.

[1] [S. a.], Dictionnaire encyclopédique de la Bible, Paris, Brepols, 1960, p. 1639.

[2] Ibid., p. 1640.

[3] Ibid., p. 1870.

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